« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Brèves d'écran/séquence 21/ANTONIONI

+ Jack Nickolson, Maria Schneider, Gilles Deleuze, Guillaume Apollinaire.


° Revoir « Profession Reporter » : pessimisme d’Antonioni… On a beau changer, on n’arrive pas à se débarrasser de « quelques mauvaises habitudes »
[1] , « … oublier tout ce qui s’est passé. Tout jeter, jour après jour. Malheureusement le monde ne marche pas comme ça, ni dans l’autre sens… »[2]
David Locke/Robertson rejoue l’histoire de l’aveugle qu’il raconte à la jeune fille, à la fin : à l’âge de quarante ans, un aveugle de naissance se fait opérer ; il est tellement déçu du monde qu’il voit que, quelques années plus tard, il se suicide. Le reporter, usurpant l’identité du trafiquant d’armes voit le monde tel qu’il est, l’échange marchand remplaçant la fragilité des images et des sons qu’il enregistrait, et il accepte d’aller au rendez-vous où la mort l’attend…
Ce pessimisme n’est pas essentiel : c’est un pessimisme de classe. Répondant à une interlocutrice qui lui reprochait de ne pas apporter de solution aux problèmes de ses personnages à la fin de certains films, Antonioni répond :
«
Vous ne pouvez pas exiger de moi que je résolve ces problèmes, que je vous propose des solutions précises, parce que moi non plus, qui suis un bourgeois, qui traite de drames bourgeois, je n’en ai pas les moyens. La bourgeoisie ne me donne pas les moyens de résoudre les problèmes bourgeois. »
[3]
De plus, dans « Profession Reporter », qui n’est pas exactement un « drame bourgeois », ni le constat du monde, ni la simulation (de l’identité, de l’action…) ne donnent les moyens d’en résoudre les problèmes.




° Cinéma d’Antonioni : les personnages, les films sont pris dans une dyschronie dont la double formulation pourrait être :
- «
Le temps est la forme immuable de ce qui change » (Deleuze)
- Le temps est la forme changeante de ce qui est immuable ; «
Le temps s’en va je demeure » (Apollinaire)
Les deux formules ne sont pas contradictoires ; l’une n’annule pas l’autre (la première restant la formule majeure). Il s’agit d’une tension, d’un hiatus, insoluble dans le constat:
"Le monde ne marche pas comme ça, ni dans l'autre sens..."

Antonioni dans les "Brèves...":


- séquence 6 : points 1, 2, 3.


- séquence 14 : points 2.


- Suite séquence 14 : points 1, 2.


- Séquence 15 : pont 1.

Séquence 22 (a)



[1] Dialogue du film, dans la bouche du personnage principal interprété par Jack Nicholson.
[2] Ibidem.
[3] M. Antonioni, « Fare un film è per me vivere » (« Faire un film, pour moi, c’est vivre »), Marsilio, Venise, 1994, p.39.

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