« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

Brèves d'écran SEQUENCE 25/ POURRIOL/GODARD/BARDOT/PICCOLI/MORAVIA + BONUS: KARINA/BRIALY




Séquence 25:










° Soit l’émission de radio intitulée « Comme on nous parle », sur France Inter, le 9 juin 2011 : Ollivier Pourriol, auteur de « Vertige du désir, Cinéphilo 2 », dont le sous-titre est : « Comprendre le désir par le cinéma », analyse de la deuxième séquence du film « Le Mépris », de Jean-Luc Godard, plan-séquence dans lequel Camille, interprétée par Brigitte Bardot, nue et couchée sur le ventre, questionne son mari Paul, interprété par Michel Piccoli.
Ce n’est pas le désir qui est le sujet de cette séquence mais l’amour, ce qui n’est pas la même chose. Aucun désir, ici, ne capte l’identification du spectateur : cela peut expliquer pourquoi ce passage a aussi souvent provoqué la moquerie voire la charge.
Dans le «
Scénario du Mépris » , Godard définit Camille comme un personnage simple, élémentaire, végétal, mais aux actions parfois imprévisibles : « … une grande fleur, simple, avec des pétales unis et, au milieu d’eux, un petit pétale clair et vif qui choquerait par son agressivité à l’intérieur d’un ensemble serein et limpide ». Et plus loin, il ajoute : « Elle vit des sentiments pleins et simples, et n’imagine pas de pouvoir les analyser ».Voulant vérifier que son mari l’aime, elle passe en revue les parties de son corps, en employant chaque fois le verbe « aimer » et, ne recevant que des réponses positives, elle conclut, par addition : « Donc tu m’aimes totalement !», et Paul répond : « Oui, je t’aime totalement, tendrement, tragiquement ».Pour Camille, aimer, c’est aimer « totalement », tout le temps et dans toutes les circonstances ; jugeant plus tard que son mari ne l’aime pas toujours et dans tous ses actes, elle le méprise : « … sentiment physique comme le froid ou la chaleur », dit Godard. Le motif déclencheur de ce mépris reste latent dans le film ; Godard rompt le déterminisme psychologique qui était explicite dans le roman de Moravia ; seule la situation demeure : Paul le scénariste présente sa femme Camille au producteur du film…
Cette conception « totale » de l’amour renvoie à un cinéma « total » (dans « Pierrot le fou », la station d’essence « TOTAL » fournit une référence visuelle concrète) ; il ne s’agit pas de ranimer le vieux rêve d’un « art total » mais d’analyser le décompte des parties et d’en faire la somme, d’une façon problématique et conflictuelle, par la généralisation - d’un plan à l’autre, d’une séquence à l’autre, dans le « tout » mobile du film - des faux-raccords visuels et sonores entre le «
végétal » (Camille) et « l’animal » (Paul) : tragédie des plans dissociés, et non drame du désir.
Il ne s’agit pas, dans cette séquence, d’éveiller le désir en faisant des qualités – ou des défauts - de certains éléments corporels les objets partiels d’exquises convoitises : il s’agit d’
échantillonner un sentiment physique, le plus concrètement possible.
L’approche matérialiste et totalisante de l’amour qui est celle de Camille est une réfraction du cinéma de Godard : des corps et des questions, des gestes et des actes fragmentés et sporadiques mais cinématographiquement exemplaires comme
outils de pensée dont les instruments sont les yeux et les oreilles.
Dans «
Scénario du Mépris», Godard écrit aussi « En somme, ce qu’il s’agit de faire c’est de réussir un film d’Antonioni, c’est-à-dire de le tourner comme un film de Hawks ou de Hitchcock. »

[Dialogue du plan-séquence :
Camille : tu vois mes pieds dans la glace ?
Paul : oui.
C : tu les trouve jolis ?
P : oui, très.
C : et mes chevilles, tu les aimes ?
P : oui.
C : tu les aimes mes genoux aussi ?
P : oui, j’aime beaucoup tes genoux.
C : et mes cuisses ?
P : aussi.
C : tu vous mon derrière dans la glace ?
P : oui.
C : tu les trouves jolies, mes fesses ?
P : oui, très.
C (en partie couvert par la musique) : tu veux que je me mette à genoux ?
P : non, ça va.
C : et mes seins, tu les aimes ?
P : oui, énormément.
(Il la serre un peu)
C : pas si fort.
P : pardon.
C : qu’est-ce que tu préfères : mes seins ou la pointe de mes seins ?
P : je sais pas, c’est pareil.
(Plus de filtre jaune et rouge : couleurs « naturelles »)
C : et mes épaules, tu les aimes ?
P ; oui.
C : moi je trouve qu’elles sont pas assez rondes.
(Couvert par la musique : et mes bras ?)
Et mon visage ?
(Filtre bleu)]
P : aussi.
C : tout ? Ma bouche, mes yeux, mon nez ?
P : oui, tout.
C : donc tu m’aimes totalement…
P ; oui, je t’aime totalement, tendrement, tragiquement.]


BONUS :
Deux extraits du dialogue de «
Une femme est une femme », toujours de Jean-Luc Godard mais réalisé en 1961, deux ans avant « Le Mépris
» :
19’54 secondes :
Emile (interprété par Jean-Claude Brialy) :
Qu’est-ce qu’il y a ?Angela (interprétée par Anna Karina) :Tu ne m’aimes pas !E : Ecoutez cette imbécile… Ecoutez cette idiote… Je n’aime que toi !A : Mais ça va pas, non ? Mais ça va pas…E : Je n’aime que toi : j’aime ton cou, tes épaules, ta taille…26’28 secondes :
Angela dans la cuisine après avoir regardé la première page de «
L’Humanité», la jette à Emile :
A : Je te méprise… Sale communiste !
Brèves d'écran
Parcours Godard: séquence 1 , séquence 5, séquence 6, séquence 13.

séquence 26

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