« Vois-tu, si un poisson venait me trouver, moi, et me disait qu’il va partir en voyage, je lui demanderais : « Avec quel brochet ? »
N’est-ce pas : « projet », et non : « brochet » que vous voulez dire ? »
CARROLL : « Les aventures d’Alice au Pays des Merveilles » ch.10, p.152.

La Famille Tenenbaum. 2.




  La splendeur des Tenenbaum. 2.

                    

                                        I.   REVERSIBILITE

 

Il s’agit d’un jeu de bascule : c’est comme si le film pouvait se renverser, ou se renversait, en autre chose que lui-même selon une ambivalence, un échange subtil ente le virtuel et l’actuel. Selon quelles modalités ?

1)                           l’ADAPTATION. Le film vient d’un livre emprunté à une bibliothèque, qui lui donne son titre ; ce livre contient un film virtuel qui s’actualise mais qui peut à tout moment se re-virtualiser en livre, comme l’attestent les têtes de chapitres filmées qui le ponctuent ; le « lecteur » devient spectateur, le spectateur, lecteur.

Mais le livre est lui-même filmé, c’est le livre du film, dans le film, pour le film, livre virtuel et même fictif, virtualité d’un roman inexistant qui génère le film et peut l’absorber.  

2)                           l’ILLUSTRATION. Le basculement se fait ici entre images et  dessins : la virtualisation des images en dessins et l’actualisation des dessins en images ; par exemple,  les vignettes qui accompagnent les têtes de chapitres du livre filmé, qui sont autant de caricatures des personnages du film, par exemple les portraits – sans génie - de Margot faits par son frère Richie ; autre exemple : Richie a couvert les murs de sa chambre, jusqu’à en faire un nouveau papier peint, de dessins dont certains figurent des personnages ou des scènes du film, et même, prémonition ou story board naïf, les profondeurs sous-marines  du film suivant : « La Vie aquatique » (« The Life aquatic », 2004).

Mais tout le film, en filigrane,  est doublé d’une simplification caricaturale, d’une  bande dessinée ; les personnages sont fortement  identifiés et même « typés » selon des attributs vestimentaires fixes : manteau de fourrure de Margot, survêtements rouges pour Chas et ses deux clones[1].

Pour contrebalancer ce risque de schématisation, une compétence contradictoire s’exerce : lorsque Chas et ses fils se rasent  face à la glace de leur salle de bains et donc  face à la caméra, l’abstraction virtuelle de la stylisation graphique est atténuée par le point de vue frontal du spectateur, comme s’il était  derrière un miroir sans tain, créant une impression de proximité, voire de promiscuité, que l’on retrouve, plus intense, dans des circonstances plus graves, lorsque Richie, devant sa glace aussi, quitte son bandeau de champion de tennis pour se suicider.

3)                            l’ANIMATION : la fixité peut se mettre en mouvement. A la fin du générique, la photo filmée de la couverture du livre s’anime ; on passe d’un plan fixe d’une image fixe, à un plan fixe d’une image animée : le plan rapproché sur le carton d’invitation est traversé par l’une des souris dalmatiennes inventées par Chas.   

Tous les films de Wes Anderson sont hantés par l’animation, qu’ils incluent à des degrés divers : une animation impliquée, en quelque sorte,  qui s’affiche dans le véritable film d’animation qu’est The fantastic Mr Fox (2009).

suite
 


[1] Pour l’anecdote, l’abondance des produits dérivés caricaturant les personnages du film, en particulier un Tenenbaum pillow à l’effigie de Margot au téléphone en train de fumer, est un signe supplémentaire de cette réversibilité possible.

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